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  • Photo du rédacteurLoïc Morel

Est-ce que les NFT sont une arnaque ?

2021 aura été l'année de l'ascension des NFT. Aujourd'hui tout le monde en parle, les célébrités les utilisent en photo de profil sur les réseaux sociaux, les entreprises essaient de les intégrer à leurs process, les particuliers sont à la recherche du prochain jpeg qui les rendra riche... C'est un petit peu la jungle et on y comprend plus grand chose à ces NFT.


Dans cet article je vais essayer de prendre de la hauteur sur ce phénomène. Nous allons ainsi nous demander : Qu'est-ce que fondamentalement un NFT ? Est-ce que les NFT vont vraiment changer le monde ? Leur usage est-il justifié ?


pinceaux



C'est quoi un NFT ?


L'acronyme NFT veut dire Non Fungible Token, en français jeton non fongible. La fongibilité est une caractéristique d'un bien qui se défini par son genre ou son espèce et non par son identité. Ainsi, un bien fongible est interchangeable avec ses semblables.


Par exemple, un billet de 10€ est totalement fongible. Si je vous demande de me donner un billet de 10€ et qu'en échange je vous donne un autre billet de 10€, vous n'y verrez sûrement aucun inconvénient, pourvu que mon billet soit un vrai.


Un bien non fongible, au contraire, est un actif qui se défini par sa propre identité. Par exemple, si je vous demande d'échanger votre voiture contre la mienne, vous n'allez surement pas accepter. Bien que ce sont deux voitures, chacune d'elles dispose de ses propres caractéristiques uniques et donc de sa propre valeur.


Les NFT sont ainsi des actifs non-fongibles représentés par des jetons uniques sur des réseaux de cryptomonnaies. Finalement, les NFT sont comme des cryptomonnaies sauf qu'ils sont uniques et indivisibles.


Ces caractéristiques des NFT sont aujourd'hui utilisées pour qu'ils puissent se substituer aux certificats d'authenticité et de propriété classiques. Ainsi, ils peuvent être associés à un bien tangible (une maison, une œuvre d'art ou encore un stylo...) ou non tangible (une image numérique, une musique...) dans le but de prouver leurs propriétés.


Beaucoup vous présentent ainsi les NFT comme une innovation majeure qui va impacter de nombreux domaines de notre société.


Les NFT, notamment sur les sous-réseaux, ne sont en rien une innovation récente. En effet, les jetons non fongibles sont imaginés sur Bitcoin dès 2013 et mis en circulation dès 2015, notamment avec les ColoredCoins. Cependant, cette innovation n'avait pas reçu le même accueil que les NFT ont reçu en 2021. Cette fonctionnalité avait sûrement été jugée comme inutile.


Ces NFT, abandonnés sur Bitcoin, représentent aujourd'hui des leviers marketing incroyables pour les sous-réseaux et pour les entreprises qui se les approprient. Ainsi, on voit apparaitre des projets NFT un petit peu de partout sans forcément comprendre à quoi cela sert vraiment. Est-ce que ces projets ont un réel intérêt pour leurs utilisateurs, ou bien fait-on du NFT pour faire du NFT ?




A quoi servent les NFT ? Et sont-ils utiles ?


Les NFT permettraient de prouver l'authenticité et la propriété d'un bien. Mais selon moi, les NFT n'apportent aucune plus-value dans ce processus d'authentification.


L'utilisation d'un réseau distribué, sur le modèle de Bitcoin, n'a aucune utilité dans le domaine de l'authentification de biens extérieurs audit réseau. On peut éventuellement utiliser ce type de réseau pour faire de l'ancrage de données afin de prouver l'existence de ces données dans le temps, mais cela n'apporte rien de les utiliser pour faire de l'authentification d'un bien externe au réseau.


Bitcoin représente deux concepts interdépendants : Bitcoin qui est un réseau distribué de paiement et le bitcoin qui est l'unité de compte du réseau de paiement éponyme. Tout comme il n'y a aucune utilité à garder le réseau de paiement sans l'unité de compte, il n'y a également aucune utilité à essayer d'intégrer un bien extérieur qui ne s'échange pas nativement sur ledit réseau.


Ainsi, si vous avez du bitcoin, vous pouvez l'utiliser librement sur le réseau Bitcoin sans demander la permission à n'importe qui. L'authentification du bitcoin est donc réalisée nativement par les nœuds du réseau et maîtrisée par le protocole. Si demain je décide d'associer à cette unité de compte un tableau que j'ai peint, cette authentification ne sera valable que parce que je l'aurai décrétée. Si je décide du jour au lendemain de détacher ce tableau de son authentification sur le réseau Bitcoin, la personne qui possède la preuve de propriété à ce moment là ne pourra rien y faire.


Et c'est ça qui m'embête avec les NFT : Tout NFT dispose d'un pouvoir d'authentification tant qu'un tiers au réseau décrète qu'il a bien un pouvoir d'authentification. Ce pouvoir ne dépend donc pas du réseau directement mais bien de l'association entre la preuve et le bien en lui-même. Cette association ne pouvant être réalisée nativement sur le réseau, elle sera forcément réalisée par un tiers de confiance.


Schéma NFT et bitcoin


Ce sont pourtant ces tiers de confiance que l'on essaie initialement d'éliminer lorsque l'on utilise cet environnement. Si les NFT nécessitent l'intervention d'un tiers, leur utilité n'est alors plus justifiée. En effet, le système d'authentification classique, qui dépend également d'un tiers, est bien plus efficient que l'utilisation d'un réseau distribué.


Par exemple, certains utilisent le NFT comme preuve de propriété de parts immobilières. Selon moi, il n'y a aucune utilité dans ce cas d'usage. Imaginons que je possède un NFT qui prouve que je suis propriétaire d'une maison à Chicago. L'association du jeton non fongible et du bien tangible (la maison) se fait forcément par l'approbation de tiers de confiance. Si un jour ces tiers de confiance ne sont plus en capacité d'assurer cette association, ou bien s'ils décident arbitrairement que cette association n'est plus valable, alors le propriétaire du NFT ne pourra pas récupérer son bien tangible.


Poursuivons notre exemple : si demain l'Etat Américain décide de saisir ma maison à Chicago pour laquelle je possède un NFT, ils la saisiront. Je pourrai agiter le drapeau de la Blockchain autant que je le souhaite, cela ne fera pas revenir la propriété de ma maison. Au contraire, si je possède des bitcoins, personne ne peut me les subtiliser puisque leur stockage est nativement réalisé directement sur le réseau qui est lui-même distribué. Saisissez-vous la différence ? Personne ne pourra vous voler votre NFT, mais le bien sous-jacent qu'il authentifie nécessite l'intervention ou l'approbation de diverses tierces parties pour vous en assurer la pleine jouissance.


Donc finalement, dans cet exemple de l'immobilier, en quoi le NFT est-il meilleur qu'un simple titre de propriété ? Dans tous les cas, il faut bien que l'Etat reconnaisse que cette maison m'appartienne.


Alors oui, avec les NFT on peut faire de la division d'un bien immobilier. Très bien, pourquoi ne pourrait on pas le faire avec des titres de division de propriétés immobilières ? Avec le NFT on peu aussi échanger rapidement son titre sur internet. Très bien, puisque cet échange est basé sur un tiers de confiance, en quoi ne pourrait on pas le faire avec un titre numérique classique sécurisé sur la base de données dudit tiers de confiance ?


Ce n'est pas parce que le système actuel d'authentification de biens et le cadre juridique sont mal optimisés que les NFT représentent une innovation en eux-mêmes. Certes, les NFT amènent indirectement à réfléchir sur de nouveaux paradigmes, mais ils ne permettent en rien de mettre en place de façon efficiente ces nouveaux paradigmes. En effet, les NFT permettent de mettre le doigt sur un problème de centralisation des process d'authentification de nos sociétés, mais ils ne permettent pas de résoudre ce problème. La centralisation du pouvoir est simplement déplacée, d'un acteur institutionnel ou historique, vers un acteur nouvellement né.


Les entreprises qui utilisent ces NFT comme titre immobilier savent très bien que ce n'est qu'un levier marketing puisqu'elles vous font signer un contrat ou un titre de propriété qui représente en réalité le seul document qui prouve que vous possédez ce bien.



Prenons un autre exemple bien connu, sur un bien 100% numérique cette fois : les jpegs de singes comme les fameux Bored Ape.


Pour les biens numériques c'est encore mieux, puisqu'ils sont duplicables à l'infini. Ainsi, si vous achetez le dernier Bored Ape, sur le sous-réseau Ethereum, vous êtes propriétaire d'un jeton sur Ethereum, vous n'êtes pas propriétaire du jpeg associé. Le jpeg associé est extérieur au réseau Ethereum, sont authentification via le réseau passe donc forcément par l'approbation d'un tiers de confiance.


Par exemple : Si je fais une capture d'écran de votre image, et que je la décrète comme NFT sur un autre sous-réseau comme Solana, il y aura donc un deuxième propriétaire de votre jpeg.


Alors oui, vous allez me dire : "Mais pour la Joconde c'est pareil, il est possible de faire une copie du tableau mais c'est pas pour autant que ladite copie sera exposée au Louvre". Oui, mais la Joconde date du 16ème siècle. Les NFT ne sont donc pas une innovation puisqu'ils permettent une authentification équivalente à celles employées il y a 500 ans. Je pense même qu'il est plus facile de différencier physiquement une fausse Joconde de la vraie plutôt qu'un faux Bored Ape d'un simple screenshot.


Cette nécessaire intervention d'un tiers de confiance dans l'authentification de votre NFT enlève toute la plus value de la technologie. En effet, il est beaucoup plus efficient de réaliser une authentification directement centralisée, même numérique, assurée directement par le tiers de confiance qui est en charge de l'émission et/ou de la gestion du bien à authentifier. L'utilisation d'un NFT est alors inutile et peut même devenir contre productive.


D'une part cela va ralentir le processus d'authentification de ce bien, et d'autre part son échange sera à la fois couteux en terme financier et en terme énergétique. En plus de ce constat de la nécessité de faire appel à un tiers, nous remarquerons que la majorité des NFT sont aujourd'hui déployés sur des sous-réseaux comme Ethereum ou Solana pour lesquels on peut remettre en cause la véritable distribution.


En sachant cela, on se rend compte que les entreprises qui intègrent des projets NFT dans leurs services le font seulement pour surfer sur la vague, pas pour offrir un réel service révolutionnaire ou optimiser leurs process. Si le projet est basé sur la vente de NFT, cela permettra à l'entreprise qui le porte de dégager de nouvelles sources de revenus facilement et quasiment sans charges supplémentaires (sauf frais de communication). Si le projet est basé sur l'utilisation de NFT, l'entreprise souhaite alors plutôt mettre en avant son innovation pour avoir un avantage concurrentiel. Dans tous les cas, il n'y a aucune réelle plus-value à l'utilisation des NFT pour le client final.


Quant au marché des NFT "artistiques" comme les jpegs de singes, il est actuellement boosté par divers phénomènes transitoires :

  • La mode, notamment grâce aux stars qui les exhibent fièrement en photo de profil sur les réseaux sociaux.

  • L'optimisation fiscale. Tout comme l'art physique, ils peuvent permettre de réduire fortement ses impôts dans de nombreux pays.

  • L'appât des gains rapides et facile, par des personnes qui recherchent de nouveaux produits spéculatifs à fort potentiel, sans s'intéresser en profondeur aux technologies sous-jacentes.




Finalement, c'est une arnaque ces NFT ?


Cela dépend des projets. Ce qui est sûr c'est que les NFT n'apportent aucune plus-value pour l'utilisateur final, mais cela ne veut pas pour autant dire que ce sont forcément tous des arnaques.


Il y a évidemment beaucoup d'arnaques dans le domaine de l'art numérique, notamment avec des personnes malintentionnées qui un matin ont ouvert Adobe Illustrator et se sont autoproclamées artistes. Mais au-delà de l'arnaque, le marché des NFT artistiques en tout genre est actuellement énormément surestimé, notamment à cause des facteurs évoqués précédemment.


Pour les projets d'intégration de la technologie, on est plus sur une forme de fausse innovation : ces entreprises font des NFT pour faire des NFT. Ce processus s'apparente un peu à la vague "Blockchain" d'il y a quelques années où les entreprises voulaient absolument intégrer cette "technologie" à leurs process, même si cela ne servait à rien, afin de pouvoir communiquer dessus.


Finalement ce terme s'inscrit dans l'interminable lignée des mots utilisés comme des leviers marketing, également nommés "buzzwords".




PS : Cet article ne représente pas un conseil en investissement. Je ne souhaite pas ici vous dissuader ou vous inciter à investir dans des NFT. Je souhaite plutôt mettre en lumière les lacunes techniques de cette technologie.




Pour aller plus loin :




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